Alors que le bio connaît une forte croissance en Europe, l’équipe du magazine #Investigation de la chaîne belge RTBF est allée enquêter à Almeria, en plein désert espagnol. Tomates, courgettes, poivrons, concombres, aubergines, melons et pastèques y sont cultivés à longueur d’année. Avec 3 466 000 tonnes de cultures produites sous 45 000 hectares de serres, la ville est considérée comme le panier de l’Europe.
Si Almeria est connue comme la ville qui fournit les fruits et légumes consommés dans toute l’Europe, on entend également parler d’elle pour ses problèmes sociaux récurrents. En effet, les manifestations ne sont pas rares pour dénoncer les conditions de travail dans les serres. Et si les entreprises bio prônent des pratiques vertueuses dans leurs publicités, dans les faits c’est loin d’être le cas. « Les scandales humanitaires concernent aussi la production bio. Parfois, c’est même pire », déclare José Garcia, responsable d’un syndicat local défendant le droit des travailleurs. « Il est inacceptable de produire ces fruits et ces légumes en exploitant des êtres humains. Des grandes enseignes européennes de la distribution nient l’évidence. Ils ne veulent pas regarder les problèmes en face et continuent de vendre ces légumes ».
Une employée roumaine de l’entreprise de légumes Bio Campojoyma dénonce le traitement réservé aux travailleurs étrangers : « En janvier dernier, j’ai presté 313 heures de travail. C’est 121 heures de plus que ce qui est prévu dans mon contrat », indique-t-elle. « On travaille sans pause et nous n’avons pas droit aux congés payés ». Une de ses collègues renchérit : « j’ai déjà travaillé 21 heures sur une seule journée. Quand on ne va pas assez vite, les employeurs menacent de nous licencier ».
Les producteurs cherchent souvent à faire de l’ombre sur ces affaires, en bousculant et prenant à parti les journalistes venant enquêter. #Investigation a réussi à montrer les conditions de travail des employés à l’aide d’une caméra cachée, portée par une travailleuse marocaine immigrée. Sur les images, on voit cette femme isolée remplir des caisses de tomates. Lorsque la cadence est jugée insuffisante, un contremaitre lui ordonne d’aller plus vite : « si j’estime que tu dois en ramasser plus, tu le fais. Ramasse plus de tomates ».
La source de ce type de problèmes viendrait du fait que le règlement européen relatif à la production biologique fournit des principes qui ne sont pas officialisés. « Pour ceux qui ont pensé le cahier des charges, à l’époque, ces idées vertueuses tombaient sous le sens. On a oublié de rendre obligatoire certains de ces principes », souligne Marc Fichers, secrétaire général de Nature et Progrès. De plus, certains Etats membres ont fait pression pour limiter certaines contraintes. « Il y a une différence énorme entre ceux qui pratiquent une agriculture réfléchie, qui prennent en compte les vraies valeurs du bio, et ceux qui s’en tiennent simplement au cahier des charges. Aujourd’hui, on assiste au développement d’un bio à deux vitesses », précise Benoit Biteau, député européen pour le Groupe des Verts/ALE.
Les images récupérées par #Investigation ont été présentées à trois enseignes : Carrefour, Aldi et Delhaize, qui travaillaient avec trois sociétés d’Almeria ne respectant pas les droits des travailleurs (Bio Sabor, Bio Campojyoma et Haciendas Bio). Les trois distributeurs ont décidé de prendre des mesures face à ce qu’ils ont vu : Carrefour et Delhaize vont exiger des audits et des contrôles inopinés, tandis qu’Aldi a « décidé d’arrêter immédiatement toute collaboration avec le producteur espagnol Biosabor », a indiqué J. Sevestre, porte-parole d’Aldi.
Source : rtbf.be