Dans le cadre de la campagne de communication sur la “Grenade de Tunisie” qui est menée par le ministère de l’Agriculture, du Groupement Interprofessionnel des fruits Gifruits et du Centre de promotion des exportations Cepex avec l’appui du Projet d’Accès aux Marchés des Produits Agroalimentaires et de Terroir Pampat 2 mis en œuvre par l’ONUDI et financé par le SECO (Suisse), Mounir Fantar, archéologue chargé de recherche à l’Institut du patrimoine de Tunis, Tahar Ghalia archéologue, expert en Patrimoine culturel et muséologue et Sonia Melayah Hamzaoui, chargée de recherche à l’Institut national du patrimoine, Dr en sociologie de l’alimentation, nutritionniste, éclairent, dans un communiqué de presse sur l’histoire de la grenade en Tunisie.
Les origines
Pour Tahar Ghalia, archéologue, expert en patrimoine culturel et muséologue, ” en l’absence de sondage carotté, permettant de remonter de façon non remaniée le sol tel qu’il est dans son état naturel, il est difficile d’affirmer précisément la présence de la grenade et de déterminer historiquement la date de son introduction “.
Toutefois, en tant qu’ancien Conservateur du Musée du Bardo, il a noté que la grenade était un ingrédient important représentée à plusieurs reprises sur les mosaïques notamment dans des scènes d’offrande ou de préparations culinaires.
Il insiste sur la nécessité de mener une étude sur les pollens qui pourra déterminer, avec exactitude grâce à la méthode de carottage, la présence des grenadiers sur le sol tunisien.
Pour Sonia Melayah Hamzaoui, chargée de recherches à l’Institut national du patrimoine, le grenadier est un arbre fruitier, cultivé depuis l’Antiquité, appelé le Punica Granatum, présent essentiellement dans le centre du Proche-Orient, en Iran et en Asie Mineure. Dans tout le pourtour méditerranéen, la culture des grenadiers remonte à l’âge du bronze.
Cet arbre a été cité au même titre que la vigne, le palmier ou l’olivier, dans le Coran et dans la Bible. La grenade est présente dans les croyances et la mythologie de la Mésopotamie, en Grèce Antique et Egypte ancienne, elles symbolisaient la fertilité et la puissance.
La couleur rouge vive de ce fruit symbolisait le sang, la mort et la sexualité mais aussi la procréation. Chez les Carthaginois, le grenadier symbolisait le Tanit; chez les Chrétiens la cohésion dans la communauté des croyants; en Islam le Prophète la considérait comme un fruit du Paradis.
L’apparition de la grenade en Tunisie remonte au moins à l’époque phénicienne, les Romains croyaient que le fruit était originaire d’Afrique du Nord, et l’appelaient la “Pomme Punique” alors qu’en réalité ce fruit a été importé par les Phéniciens et on l’appelait la “Pomme de Carthage”.
Mounir Fantar évoque les stèles votives ornées de représentations figurées de grenade symbolisant la fertilité, aussi bien pendant l’ère carthaginoise que romaine notamment sur les stèles dédiées au dieu Saturne.
Fantar affirme que la grenade a été introduite par les Phéniciens en Afrique -l’Afrique du Nord s’entend, l’actuel Maghreb-, d’où l’appellation scientifique de ” Punica Granatum ” pour le grenadier.
La grenade, appelée ” Pomme Punique “, était très appréciée par les Romains. A ce titre, un précieux témoignage du naturaliste Pline l’Ancien au 1er siècle après Jésus-Christ, qualifie le grenadier comme étant l’arbre de Carthage par excellence, et signale les régions de la culture du grenadier notamment dans l’antique Tacapé, actuelle oasis de Gabès, remontant ainsi à l’Antiquité : ” On rencontre, quand on va aux Syrtes et à Leptis la Grande, une ville d’Afrique au milieu des sables ; on la nomme Tacape. Le sol, qui y est arrosé, jouit d’une fertilité merveilleuse… Là, sous un palmier très élevé, croît un olivier, sous l’olivier un figuier, sous le figuier un grenadier, sous le grenadier une vigne : sous la vigne on sème du blé, puis des légumes, puis des herbes potagères, tous dans la même année, tous s’élevant à l’ombre les uns des autres”.
Pline décrit un paysage qui, à ce jour peut être observé sur place à l’oasis de Gabès !
A part Gabès, poursuit Fantar, autour de la Medjerda, Testour, Mejez el Bab, ces terres étaient fertiles dans l’Antiquité, des textes épigraphiques témoignent de la présence de domaines où l’on y plantait l’olivier, la vigne, et probablement aussi le grenadier. Quant à la période andalouse, on ne peut pas affirmer que les Andalous aient introduit la grenade en Tunisie en revanche, l’introduction d’autres préceptes et de nouvelles techniques d’agriculture l’ayant fait évoluer, ne fait aucun doute. Après la chute de Grenade, il se pourrait que les andalous aient apporté avec eux de nouvelles variétés de grenades en Tunisie.
Héritage punique dans les recettes
Des recettes carthaginoises pour conserver la grenade nous ont été transmises. L’agronome latin Columelle (1er siècler ap. J.-C.) cite, d’après le Carthaginois Magon, père de la science agricole, une série de recettes pour conserver la grenade, en la plongeant dans l’argile ou dans la sciure : ” Le Carthaginois Magon prescrit de faire bien chauffer de l’eau de mer et d’y plonger quelque temps les grenades, enveloppées dans du lin ou du sparte, jusqu’à ce qu’elles aient perdu leur couleur. Après les avoir retirées, les sécher au soleil durant trois jours ; puis les suspendre dans un endroit frais. Quand on voudra les consommer, on les mettra à tremper dans de l’eau douce froide pendant une nuit avant de les servir.
Autre recette du même auteur. Enduire les fruits nouveaux d’une couche épaisse de terre à potier bien pétrie ; quand cette terre sera sèche, les suspendre dans un lieu frais. Avant d’en faire usage, les mettre dans de l’eau, pour dissoudre la terre. Ce procédé les conserve dans toute leur fraîcheur.
Troisième recette de Magon. Au fond d’une cruche neuve en argile, verser de la sciure de bois de peuplier ou d’yeuse ; par-dessus, disposer des grenades, de telle façon qu’on puisse fouler de la sciure dans les intervalles qui les séparent ; sur cette première couche de fruits, étendre une nouvelle couche de sciure, et ainsi de suite, jusqu’à ce que la cruche soit pleine. Mettre un couvercle et l’enduire soigneusement d’un lut épais”. (Columelle, XII, 46, 5-6).
Autant de techniques qui ont été développées pour permettre de bien conserver les grenades et prolonger la période de consommation de ce fruit magique aux multiples vertus.
En ce qui concerne les modes de consommation de la grenade, l’archéologue Tahar Ghalia constate qu’à ce jour en Tunisie le couscous et le masfouf sont consommés dans certaines régions avec de la grenade, héritage d’un mode culinaire très ancien. Selon lui, la Grenade devrait pouvoir jouir de la même considération que celle dont jouit l’olive en Tunisie . Elle doit pouvoir être exportée dans le monde pour ses bienfaits comme le sont les dattes et l’huile d’olive tunisienne.
Mounir Fantar est convaincu que derrière l’histoire de la grenade, il y a l’histoire de Carthage et de tout ce pays, Carthage qui a émis la première constitution de ce pays, un modèle selon Aristote. Il conclue avec conviction, “qu’en se penchant sur notre Histoire, l’on pourra mieux construire notre avenir”.