Croissance agricole, contrats-programmes, irrigation : un entretien avec Mohammed Sadiki

Ci-dessous, un aperçu de l’entretien avec Mohammed Sadiki, ministre de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts :

Le Plan Maroc vert a généré une forte hausse de la production dans les filières. Les opérateurs et les consommateurs se plaignent toutefois des circuits de distribution. Il arrive qu’un produit provenant d’écarts de triage voit son prix quadrupler au stade détail. La distribution est le talon d’Achille de l’agriculture marocaine..

Mohammed Sadiki : Effectivement, l’aval des filières est l’un des grands sujets du jour.
Tout ce que nous avons fait jusqu’à présent a eu un impact très positif ; tous les indicateurs sont au vert en termes d’objectifs et d’amélioration de la productivité de toute la chaîne de valeur, de toutes les filières.

Au niveau de l’amont, les agriculteurs savent comment produire, quelles sont les meilleures pratiques, hormis pour quelques cultures d’introduction récente. Il y a treize ans, tous ne savaient pas, ou savaient moins.

Par contre, dans l’aval des filières, ce n’est pas fini, il reste pas mal de chantiers.

Le Plan Maroc vert n’a pas négligé l’aval.
C’est le grand échec ou la lacune du Plan Maroc vert peut-être..

Il est faux de croire que le Plan Maroc vert a négligé l’aval. Il a fait beaucoup, simplement les chantiers ne sont pas tous terminés. Ce Plan a posé les bonnes questions. Il a diagnostiqué et identifié ce qui manque. Il a jeté les fondations, les prérequis pour avoir une valorisation à la hauteur de nos ambitions

La distribution connaît des dysfonctionnements énormes, d’abord parce qu’il y a une multitude d’acteurs. Et les responsabilités sont diffuses. On sait tous qu’il y a une multitude d’intervenants, ce qui, objectivement, rend toute réforme difficile à mettre en place.

Nous savons ce qu’il y a à faire. Et nous le ferons, avec le soutien du ministère de l’Intérieur, nos deux départements étant complètement alignés sur les objectifs et la marche à suivre.

“Chaque produit qui accèdera au marché de gros devra produire un certificat sanitaire. C’est cela que nous voulons instaurer. ”

Le fonctionnement actuel des circuits de distribution renchérit les prix bien sûr. Il bloque également une partie du travail de l’ONSSA. Sans circuits organisés, on ne peut ni organiser le suivi sanitaire ni avoir une quelconque traçabilité.

Les produits exportés sont par contre très bien contrôlés, parce que le circuit est maîtrisé, grâce à Morocco Foodex et à l’ONSSA pour la partie sanitaire.

Comme on délivre un certificat sanitaire pour les produits qui sont exportés, nous devons pouvoir faire la même chose sur le marché local. Et le point de passage doit être le marché de gros. Chaque produit qui accèdera au marché de gros devra produire un certificat sanitaire. C’est cela que nous voulons instaurer.

Sur plus de 300 abattoirs, seuls 13 sont agréés.
Le problème semble se poser également pour les abattoirs. Comme les marchés degros, la plupart des abattoirs sont gérés par les communes… Beaucoup pensent que nos élus ne veulent pas lâcher la gestion des abattoirs ni celle des marchés de fruits et légumes.

Les abattoirs sont à la production animale ce que les marchés de gros sont à la production végétale.

Il existe plus de 300 abattoirs au Maroc, seuls 13 sont agréés par l’ONSSA. Dès que vous fermez un abattoir non accrédité car non conforme, il y a une levée de boucliers, malgré le soutien que nous apporte le ministère de l’Intérieur.

Les abattoirs et les marchés de gros, c’est la même problématique de base. Et le prix que paie la collectivité, c’est d’abord le manque de contrôle de ce qui est vendu au consommateur. En deuxième lieu, nous ne pouvons pas effectuer de prévision des prix. Et nous ne maîtrisons pas les circuits souvent contrôlés par de nombreux intermédiaires. On l’a vu d’ailleurs au cours du mois de ramadan. La solution que nous avons adoptée pour la tomate, c’est un accord avec les producteurs pour garantir un approvisionnement régulier du marché national, avec une fourchette des prix de gros entre 2,50 DH et 5 DH.

Vous avez essayé de faire baisser les prix sur le marché national en limitant l’export. Mais le vrai problème est ailleurs. Il est structurel. Il concerne d’abord les circuits de commercialisation. Et l’export subventionne le marché intérieur…

Il fallait agir vite pour faire baisser les prix, car la réforme des circuits par définition ne sera pas instantanée ni même rapide.

L’export est stratégique pour le Maroc et pour les opérateurs. Sans export, nous n’aurions pas eu des prix de gros à 2 ou 5 DH pour la tomate. Sans l’export, nous n’aurions pas un approvisionnement national cohérent.

L’agriculture est une péréquation entre l’export et le marché national. Car l’investissement est lourd et, pour l’amortir, les prix très rémunérateurs à l’export sont indispensables.

Pour en revenir aux intermédiaires et aux circuits du marché intérieur, que comptez-vous faire?

La réforme des marchés de gros est inscrite dans Génération Green. La nécessité de cette réforme a été maintes fois expliquée au cours des dernières années, jusqu’au Parlement, et elle est soutenue et accompagnée par le ministère de l’Intérieur.

Nous allons donc mettre en place les investissements nécessaires pour cette réforme.

“Un nouveau marché de gros est en construction à Rabat, et quatre autres projets sont en cours de finalisation. »

À quel horizon?

Sur dix ans. Quatre projets de nouveaux marchés sont en cours de finalisation ; ils bénéficieront d’un financement de la Banque mondiale. Et, de son côté, la réalisation du marché de gros de Rabat est très avancée. Il est prévu pour 2023.

Ce sera donc un Rungis marocain ?

Le Rungis et le MercaMadrid, avec tout ce qui va avec comme organisation.

L’étude a d’ailleurs été conduite avec l’équipe de Rungis. Le marché de gros de Rabat est situé du côté de Youssoufia ; il a été conçu d’emblée pour être moderne, performant, adapté aux meilleurs standards de fonctionnement.

Les quatre autres marchés de gros seront situés à Meknès, Berkane, Marrakech et Agadir. Les terrains ont déjà été identifiés.

La gestion des nouveaux marchés de gros sera confiée à des professionnels.
Ils seront prêts à quel horizon?

Trois ans, j’espère. Celui de l’Oriental est le plus avancé. S’il est lancé cette fin d’année, il pourrait être opérationnel d’ici dix-huit mois.

C’est moins simple qu’on ne le croit. Il ne s’agit pas seulement de construire ou de financer. Le plus délicat, c’est d’appliquer le bon modèle de fonctionnement. C’est pour cela que la gestion sera confiée à un professionnel.

En parallèle, je signale que les agrégateurs ne seront plus dans l’obligation de passer par les marchés de gros, mais pourront vendre directement aux grandes et moyennes surfaces, ou avoir leur propre réseau de points de vente au consommateur. Nous avons pour cela modifié la loi sur l’agrégation.

Les nouveaux contrats-programmes des différentes filières seront signés en 2022.
Des opérateurs estiment que les contrats-programmes sont en retard…

Nous sommes en train de les finaliser. Ils seront signés au cours de cette année 2022. Mon objectif est que cela soit fait en juin ou juillet.

“ Une partie des subventions basculeront vers l’aval ”

Qu’est-ce qui changera globalement dans les contrats-programmes ?

L’objectif et l’approche de Génération Green, c’est de compléter le Plan Maroc vert et d’agir sur les points qui restent et les défis diagnostiqués par l’évaluation du PMV.

Et comme l’aval des filières est important, les subventions vont être restructurées de manière à faire basculer une partie d’entre elles de l’amont vers l’aval.

Par exemple dans l’agro-industrie, nous aurons des plafonds et des taux plus intéressants, avec extension à des services importants, par exemple des usines d’écrasement, des usines de jus industriel. Nous inciterons également les opérateurs à aller vers les agropoles, pour garder la valeur ajoutée dans les régions de production.

Pour l’équipement en irrigation localisée, l’ancien dispositif incitatif a expiré le 31/12/2021. Un nouvel arrêté conjoint fixant les taux et plafonds de l’aide pour les projets d’irrigation est en cours d’approbation.

Les contrats-programmes comportent les objectifs chiffrés en termes de production, ainsi que les obligations des opérateurs et de l’Etat. Il est donc indispensable, au préalable, de chiffrer les budgets. Ce chiffrage impose des délais supplémentaires avant la signature.

L’objectif de Génération Green est de doubler le PIB agricole.
Quelle est l’enveloppe globale des subventions délivrées par le ministère chaque année?

Environ 4,5 milliards de DH en 2021. D’une année à l’autre, entre 3,5 et 4,5 milliards de DH.

Si on examine l’exécution du Plan Maroc vert, et que l’on compare les taux de croissance du PIB agricole et du PIB global, on se rend compte que l’agriculture a tiré la croissance du pays vers le haut. Cette tendance pourra-t-elle être maintenue?

Oui, parce que l’objectif premier global de Génération Green, c’est de doubler le PIB agricole d’ici 2030.

Si vous le doublez, sa part dans le PIB global va augmenter… Elle atteindra quel niveau?

Nous sommes actuellement à 125–127 milliards de DH (MMDH) de PIB agricole. L’objectif consiste à atteindre 250 MMDH. Nous serons alors autour de 18% à 20% du PIB global. Cela viendra de tout ce que nous avons évoqué dans cet entretien, avec l’impact attendu sur le monde rural et la classe moyenne.

Un objectif de 100.000 ha de caroubiers.
Quel est le secret pour atteindre cet objectif, surtout avec le changement climatique qui se confirme?

D’abord par la valorisation du fine-tuning des cultures et des espèces. Nous aurons de nouvelles cultures qui résistent au changement climatique, par exemple le caroubier pour lequel nous avons un objectif de 100 000 ha. Le caroubier est le produit le plus rentable actuellement en termes d’arboriculture.

Le caroubier est transformé en pâte, qui est utilisée dans plusieurs transformations et préparations agro- industrielles. Ses grains fournissent également une huile.

Qu’est-ce qu’on en fait?

Il est utilisé dans l’industrie agroalimentaire sous différentes formes, notamment en tant que composant dans la fabrication du chocolat. Autre produit, c’est l’huile des grains de caroubier, très recherchée pour ses vertus capillaires. D’anciens caroubiers sauvages ont été récemment vendus entre 6.000 et 7.000 DH l’arbre. C’est énorme. Des investisseurs ont installé des unités de traitement et transformation du caroube, notamment dans l’agropole de l’Oriental.

C’est un arbre qui n’est pas du tout gourmand en eau. Il suffit de le planter, de l’entretenir pendant deux ans, puis de l’oublier… sauf en période de récolte bien sûr.

Le Maroc a développé huit variétés résistantes à la cochenille du cactus

Le caroubier s’adapte très bien aux zones dont l’écosystème est fragile, les arrières-pays, les zones montagneuses et marginales… là où l’on ne pouvait cultiver que du cactus.

Le cactus a été érigé en filière dans le cadre du Plan Maroc vert, mais nous avons subi les problèmes suscités par la cochenille. Elle a détruit plus de 80.000 ha, dont 45.000 ha plantés dans le cadre de l’agriculture solidaire du Plan Maroc vert, sur un total de 250.000 ha.

Quelles sont vos intentions en matière d’agrumes ?

Le Maroc dispose de 127.000 ha d’agrumes. Notre objectif, c’est de réduire cette superficie à 105.000 hectares, donc de rester dans l’objectif initial du Plan Maroc vert. Il y a eu beaucoup plus de surfaces sur les petits fruits notamment.

Pourquoi ne pas orienter cette production supplémentaire vers l’industrie de transformation?

C’est ce que nous essayons de faire. Mais nous n’allons plus encourager l’augmentation des superficies plantées. Nous avons supprimé les subventions pour les agrumes en termes de plantation. Lorsqu’un opérateur voudra renouveler son verger, il aura donc tendance à se diriger vers d’autres cultures.

On est à 127 MMDH de valeur ajoutée agricole aujourd’hui. Quelle est la part de la transformation?

Ces 127 MMDH n’incluent pas l’agro-industrie. Ils concernent seulement la production agricole. Nous sommes à 13% ou 14% du PIB global. Si on inclut l’agro-industrie, cette part monte à 18%. Et si on inclut les services autour de l’agriculture, pris en compte dans le plan Génération Green, on est déjà autour de 20% aujourd’hui.

Avec les nouveaux objectifs, nous pourrons dépasser 25 % du PIB global incluant production, agro-industrie et services autour des écosystèmes des filières agricoles et agroalimentaires.

Oui, mais vous allez plus vite…

Nous pouvons aller encore plus vite que le Plan Maroc vert si les investissements et les financements suivent, parce qu’il y a toutes les bases, la production est là. Ce qui est difficile, c’était d’installer la production.

Quels sont les résultats du contrat-programme agro-industrie?

Ce contrat-programme sera prolongé. Aujourd’hui, nous sommes à 3 MMDH dépensés en incitations, il reste 1 MMDH d’incitations. Le privé a apporté 7 MMDH sur les 8 MMDH escomptés.

“L’espoir que j’ai, c’est une agriculture qui soit vraiment résiliente et moderne pour attirer les jeunes.”

Si l’on se projette dans l’avenir, comment sera l’agriculture marocaine à l’horizon 2030?

L’image et l’espoir que j’ai, c’est une agriculture qui soit vraiment résiliente et moderne pour attirer les jeunes. Nous devons renouveler la population des agriculteurs. C’est important. D’ailleurs, c’est un objectif du plan Génération Green. Cette classe moyenne agricole, au-delà du revenu et de la stabilisation du monde rural, c’est elle qui va nous permettre d’aller plus loin et d’appliquer tous les principes de la durabilité.

Nous aurons, je l’espère, un système de culture adapté et résilient… La question de la souveraineté alimentaire aura été réglée.

Nous aurions aussi un mapping de production en fonction du potentiel, pour garantir un certain nombre de cultures. Et puis, je l’espère, au moins 90% de l’eau d’irrigation sera dispensée avec des systèmes économes en eau comme le goutte-à-goutte. Car le facteur eau est le nerf de la guerre.

Notre souhait est enfin de sécuriser un million d’hectares de céréales irrigués à partir de différentes sources d’eau, notamment l’irrigation de complément. Actuellement, nous disposons de 300.000 ha équipés. Si cet objectif est atteint, le Maroc aura garanti une production de 50 millions de quintaux au minimum chaque année.

Vous allez généraliser la micro-irrigation, et puis il y a aussi les stations de dessalement

Celle d’Agadir est opérationnelle. Dakhla vient d’être lancée pour 5.000 ha, celle de Nador est dans le pipe.

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